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novembre 2019 – Identiscope – Claude Meillet
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Mois : novembre 2019

Elections, pièges

 

En écoutant son amie lui expliquer, depuis Paris, toutes les subtilités des élections israéliennes en cours, il se dit qu’elle faisait voir les aveugles. Alors que sur place, le méli-mélo de la campagne le rendait lui, non-voyant.

Afin de faire percer chez elle une lueur de compréhension, et par la même occasion d’éclairer sa propre analyse, il lui fit une proposition a priori honnête. S’efforcer de décortiquer pour elle, sans passion, objectivement, rationnellement, la situation. En précisant que la magie particulière de la politique israélienne n’avait fait avec la campagne bis que du copier-coller de la première, heureusement en plus court.

 

La forme d’abord. Important partout, certes. Mais plus encore ici. Dans une région et dans un pays où la forme déforme allègrement.

Premier des paramètres, l’hyper personnalisation. Menée de main de maître par l’artiste du procédé, le Premier Ministre. Faisant de la politique, du pur Shakespeare. To be Bibi or to not be Bibi. Fascinant suffisamment ses opposants pour qu’ils le suivent sur ce terrain. Où, à tout coup, sa popularité, son pouvoir, sa maestria politicarde, le donnaient gagnant. Sinon….que le piège s’est refermé sur lui-même. Car, incertitude montante de la victoire, rapprochement inéluctable de la sanction juridique, le maître a progressivement perdu son sang-froid, et s’est soudain révélé fébrile, affolé, livré à tout et son contraire.

Second facteur, la foire d’empoigne. ‘’Pas original. Israël n’a pas l’exclusivité’’ l’interrompit la chère amie. Pas déstabilisé pour autant, Jonathan confirma. Le monde politique israélien sait transformer en art véritablement spécifique un phénomène effectivement général. La gauche comme la droite, les extrêmes comme le centre, tous ont arrosé de tirs plus ou moins vicieux leurs ennemis comme leurs supposés amis. Rendant des électeurs plus motivés qu’il n’y paraissait, plus éberlués qu’ils ne l’avaient jamais été.

 

‘’Bon, mais sur le fond, tout de même ?

Mis sur le gril par sa toujours charmante amie, Jonathan se lança.

L’étalage d’une formidable hypocrisie, tout d’abord. Ce fut à qui se distancierai le plus judicieusement du diable que constitue la minorité arabe israélienne. Diable que la majorité juive revendique dans les temps ordinaires comme bon dieu, fait de citoyens pleins et entiers. Hypocrisie révélatrice d’un formidable décalage entre un univers politique exclusif et une réalité v quotidienne beaucoup plus inclusive.

La mise à nue de la dichotomie séculaires/religieux.  Pour laquelle, aussi sulfureux que soit le personnage politique, le bien nommé cher homme Lieberman, la démocratie israélienne doit être reconnaissante. Son opposition, réitérée, à l’alliance avec les partis extrêmes religieux, a permis probablement un assainissement vital du système institutionnel et politique du pays.

Trou noir de débats pourtant primordiaux, sur le retournement économique et financier en cours, sur l’aggravation des inégalités sociales,  sur les dérives du système éducatif, sur le rétrécissement culturel, sur la rupture de l’équilibre justice/pouvoir. Trou noir des débats sur l’environnement, le climat, l’urbanisation…

 

 

Absence, soigneusement entretenue, de clarification sur la situation palestino/israélienne. Mort de la solution des deux Etats ? Caractère mortifère de la solution d’un seul et même Etat ? Négociations, statut quo ? Manque absolu, partagé, d’audace, d’imagination. Sur un facteur d’infection morale, psychique, pratique, de la société israélienne.

 

‘’Sur le fond comme sur la forme, tu me confirmes, reprit son amie, plus aussi charmante. Israël, c’est très mal parti.’’

Remarque qui offrit à Jonathan, un brin peut-être trop triomphant, l’occasion d’un final régénérateur. En fait, cette élection à double détente risque d’offrir au pays une double opportunité. Reprendre le récit d’une magnifique aventure, s’inscrivant dans les pas d’un idéal sioniste, s’efforçant contre aléas, vents et marées, de construire une réalité conforme aux idéaux originels. Amener une classe politique à s’inspirer d’une réalité de terrain, inventive, ouverte, animée par un courant vital, celui de la vie.

‘’Amen’’, ne put s’empêcher de conclure sa toujours vigilante amie.

Honte

 

‘’La honte ! Trop, c’est trop’’.

Le petit prof à lunettes rondes, ordinairement mesuré dans ses opinions et contrôlé dans ses expressions, explosait. ‘’Quelle comédie ! Insoutenable ! Alors que sur tous les plans, les problèmes s’aggravent !’’

Un trop plein qui débordait après avoir vu et entendu à la télévision les mauvais acteurs de cette  pièce de théâtre à répétition : les élections israéliennes.

 

Un peu éberlué malgré tout, Jonathan observa le déroulement de la scène à rôles inversés qui suivit le jaillissement soudain d’une colère irrépressible.

Car, en face du petit prof, le sanguin agent d’assurance, aux idées ordinairement aussi tranchées que leur expression était brutale, s’installa dans un mode résolument serein, sûr et apaisé.

En commençant par interroger, innocemment, ‘’Mais qu’est-ce qui te choque donc tout d’un coup, camarade ?’’

Impossible à contenir, le tsunami d’indignations se déversa alors. Qu’était-ce donc que ces pantins qui tiennent en haleine et en otage tout un pays, avec leur jeu d’hypothétiques d’alliances et de désalliances de partis, de blocs et de contre-blocs ? Avec la pantalonnade du tourniquet des hommes et des femmes, dits politiques, qui tous ne visent qu’à mettre leur auguste postérieur sur les sièges en bois des rangées à la Knesset ! Avec ce ballet insane des fameux ‘’petits partis’’ qui enfarinent les ‘’grands’’ dans leur maillage de chantages aux grosses ficelles ! Avec ces dits ‘’ chargés de constituer un gouvernement’’, que le président essaye désespérément de rendre simplement intelligents, qui se fascinent mutuellement dans un affrontement de type ‘’tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux…..’’ !

Après reprise de souffle, devant son interlocuteur impavide, l’indigné reprit derechef. Et encore, le pire n’est pas là ! Le pire c’est que tout ce vaudeville, tout ce petit monde, tournent autour d’un unique trou noir ! Celui du sort d’un premier ministre ! Rien de moins, rien de plus ! Va-t-il l’être ou ne pas l’être ? Quoi ? Accusé ! De corruption, de détournements et autres fariboles, rien que ça ! Lier le sort d’un pays à ça ! Quelle misère ! Mais le pire du pire n’est pas encore atteint ! Ce même premier ministre, pour sortir de son trou noir, par opportunité électorale, accuse de traîtrise un cinquième de ses citoyens ! Après les avoir giflés avec une loi qui les rétrograde en seconde division de cette citoyenneté, il les efface!

‘’Et veux-tu savoir ?’’ demanda-t-il avec un coup de menton audacieux. La honte ? Elle rejaillit sur tout le pays ! Non seulement la bataille des élections ignore l’essentiel, le vital. La pauvreté, le système éducatif, la répartition et l’équité sociale, la défense de la culture, de la justice. Le glissement économique et politique. La recherche de solutions au conflit encalminé avec les Palestiniens. Interrompre une fois pour toutes le bombardement du sud israélien. Mais dans le pays lui-même, d’où vient une demande de programme politique ? De nulle part. Les citoyens israéliens eux-mêmes sont tombés dans le trou noir !

 

L’assureur laissa s’installer une zone de silence. Astucieusement. Les dernières vagues du tsunami se résorbèrent aux pieds d’un mur de calme méritoire.

 

‘’Injustice’’. Il lança le mot sereinement mais fortement. Beaucoup plus malignement que Jonathan ne s’y attendait, il commença par concéder. Il comprenait le sentiment de honte sur le dernier point. Le manque criant de propositions, d’engagements dans des projets, constituait effectivement une lacune majeure dans un débat démocratique. L’enchainement de la critique s’en trouva plus naturel et prit une apparence d’autant plus objective. Mais, ‘’Injustice’’. Il lui apparaissait réellement abusif de vouloir généraliser en jetant la baignoire avec l’eau du bain. En vérité le rôle central du sort futur du premier ministre n’était absolument pas anecdotique. Il cristallisait un vrai choix de société. La préservation des valeurs juives contre leur dissolution dans un mixage de valeurs hétéroclites. La défense d’une société de liberté contre une société d’idéologie totalitaire. L’affirmation d’une force militaire intransigente contre une tentation de compromission militaro-politique. Le redimensionnement géographique d’un Etat israélien retrouvant sa réalité historique contre l’acquiescement à un reniement de son histoire……

 

L’accumulation litanique des arguments sonnaient peu à peu comme les notes d’une musique d’ascenseur aux oreilles de Jonathan. Il sentait avec un sentiment mêlé de honte et d’injustice, l’indifférence envahir son pouvoir d’attention.

Il finit par se demander si, au-delà de la honte et de l’injustice, la léthargie des électeurs, la vacuité du théâtre politique, ne pourraient pas être renversés par une forme musicale tout-à-fait nouvelle, résolument modernisée, du grand opéra de la démocratie électorale.

Vaste question….

Qu’il résolut de remettre à plus tard.