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Mois : mai 2015

Où ?………….

L’accumulation des interrogations générées par la société israélienne détournaient Jonathan de la question du ‘’qui suis-je’’ pour la question du ‘’où suis-je’’.
La généralisation des affrontements binaires, tout d’abord.
La droite dure contre la gauche molle, par exemple. C’est ainsi qu’elles se décrivaient gentiment réciproquement. La pénétration, apparemment grandissante, du religieux dans le monde civile, ensuite. Influence sans doute rendue plus sensible par la place donnée dans le nouveau gouvernement, aux partis et aux hommes aux certitudes certainement forgées par leur engagement religieux plus que par l’analyse socio-économique. Les racistes contre les antiracistes, également. La radicalité des appellations traduisait d’ailleurs bien la radicalité des positions. Foin de nuances, sur un sujet qui mériterait pourtant un peu de prudence .La situation dans la société des immigrants de toutes conditions, en particulier, demande sans doute plus de rationalité que d’émotion, plus de règles et de principes que d’anathèmes ou de pétitions. Et puis la relation aux minorités. Définis comme citoyens israéliens à plein droit, et qui se ressentent effectivement citoyens israéliens, mais citoyens de seconde zone. Sans compter l’affrontement historique classique, Ashkénazes/Sépharades, qui, lui disait-on, compte encore, de façon plus ou moins visible. Enfin, le plus commenté, le plus marquant dans la vie sociale, économique en Israël, l’accroissement constant de l’écart entre riches et pauvres. Reconnu ou nié, le déséquilibre apparaît de plus en plus comme la menace de fracture la plus immédiate.

L’écart abyssal entre la vie économique, technologique, spirituelle, artistique de la société israélienne et sa vie politique, ensuite.
D’un côté, une ‘’start-up nation’’,  une créativité traversant tous les secteurs, un dynamisme généralisé qui ne se limite pas à la ville qui ne dort jamais, Tel Aviv, mais qui se manifeste dans les kibboutz, les villes du nord, du centre et du sud, une jeunesse qui se bat et qui ose. De l’autre, le vide intellectuel, un spectacle affligeant de valse de portefeuilles rythmée par les compromis et les ambitions, l’intérêt public mis aux oubliettes, l’absence de souffle, de vision, d’initiatives, le délitement démocratique.

Enfin, la confrontation entre l’idéal et la réalité. Le questionnement qui fait mal.
Où ? Où sont donc passés ces principes qui avaient présidés à la création de l’Etat d’Israël ? Solidarité, égalité, moralité, audace, volonté de vie, respect de tous….Ces principes qui ont permis le démarrage du pays, et qui ont participés à sa notoriété. Le temps, le réalisme, les contraintes, ont normalement fait leur œuvre. Tous se sont affaiblit, sont parfois passés second. Jonathan le comprenait d’autant mieux qu’il en sentait encore la présence, sous-jacente, dans la société. Mais comment cette société a-t-elle pu se laisser gangréner à ce point par la corruption ? Depuis une mafia israélienne qui a gagné une réputation mondiale, jusqu’aux scandales à répétition qui secouent à tous les niveaux, local, régional, national, les responsables de tout bord et de tout acabit.

Et cependant. Cet Israël rêvé, il le rencontrait quotidiennement. Des constructions, immeubles, routes, équipements, partout. Une agriculture florissante gagnée sur des terres arides depuis des siècles. Des campus universitaires magnifiques, une santé économique de fer, une force militaire redoutée, une inventivité explosive.

Où suis-je, réellement, se demanda- t-il, ouvrant, songeur son quotidien favori.

Pour voir en première page,  le nom  de ce responsable le plus fréquemment cité, nom qui se termine par….’’ou’’.

Vous avez dit ‘’déontologie’’ ?

Jonathan le découvrait avec un peu de retard, mais beaucoup d’étonnement.
Une nouvelle discipline a pénétré le monde des entreprises. On y trouve maintenant des ‘’déontologues’’.
Ce qui veut dire, comme dirait Monsieur de La Palice, qu’on y a reconnu un besoin de déontologie.
Il est fortement probable, se dit-il, que les petits et les gros délits, corruptions, malversations, détournements, tricheries et autres joyeusetés, ont prospérées de tout temps dans l’économie, le commerce, l’industrie, les services.
Mais il est aussi certain que la transparence accrue car inévitable, le danger de médiatisation, la force de dissuasion que constituent les réseaux sociaux, ont donné au phénomène une trop grand visibilité pour ne pas tenter de le contrôler.
Prévenir pour guérir, c’est la raison d’être de ce déontologue, découvrit Jonathan.
Prévenir : vérifier la bonne conformité, en particulier (tiens, tiens….) en matière financière, établir des règles de bonne conduite, intégrer au fur et à mesure toutes les nouvelles dispositions, diffuser une pédagogie éthique, assurer la prise en compte des exigences des actionnaires, clients, des collaborateurs, de la société civile.
Guérir : la fraude et la corruption, petite comme privilégier un fournisseur ami et grande comme le délit d’initié, l’ignorance voulue ou pas de normes contraignantes, les mauvais comportements comme le harcèlement moral ou sexuel, le mensonge pour embellir l’image externe ou pour mettre sous le tapis un défaut pénalisant….
Sans oublier que, globalement, ‘’déontologuer’’ osa Jonathan, c’est éviter de ternir ce qui compte de plus en plus dans le monde d’aujourd’hui, l’image de l’entreprise.

Mais, se dit-il, enfourchant un de ses sujets d’observation favoris, le déontologue ne pourrait-il pas étendre son territoire à un autre domaine de la vie publique, où son intervention ne serait probablement pas inutile ?
Le monde politique. Par exemple. Mais pas tout-à-fait par hasard.
Tous les pays bénéficient d’une saga permanente de scandales plus croustillants les uns que les autres. Une éminente candidate qui  risque de distiller des secrets d’état via son mail personnel,  un politicien pour le moins chevronné qui emberlificote les juges, des fonds de provenance diverses qui naviguent entre des paradis fiscaux exotiques, on a l’embarras du choix.
Et sur ce terrain comme bien d’autres mais plus glorifiants, on ne peut pas proclamer haut et fort, qu’Israël soit en reste.
A gauche, à droite, au centre, chez les religieux comme chez les laïcs, au niveau national, régional et local, le déontologue pourrait, sans effort, trouver du grain à moudre.
Comment ? imagina un moment, Jonathan.
Prévenir : établir des règles claires, largement diffusées, obtenir des engagements de comportements, avant élections bien entendu, diffuser une pédagogie éthique aussi, pourquoi pas, comparer périodiquement les réalisations aux promesses.
Guérir : les retournements de veste, l’oubli des engagements, la concussion plus ou moins ouverte, l’enrichissement sur fonds publiques, les privilèges accordés, la discrimination, le détournement de la loi, alliance contre nature, la liste  risque d’être longue.
A l’impossible, nul n’est tenu, tempéra Jonathan.
Mais, déontologue en politique, tout de même, ça ferait bien sur une carte de visite !!

L’impasse inégalitaire

Apparemment, tous les chemins y conduisent.
Le point d’alerte avait été cette merveilleuse expression, ‘’le contrat zéro heure’’.
D’autant plus qu’elle s’imbriquait dans un titre lui aussi très alléchant : ‘’Le contrat Zéro heure, une spécificité britannique qui séduit’’.
Ces insulaires, se dit Jonathan, ils n’ont pas seulement inventé l’eau chaude, les voilà qui nous surprennent avec un ‘’zéro heure’’.
Mais, comme souvent avec nos amis d’outre-quiévrain, il vaut mieux regarder les choses de près. ‘’Zéro heure’’, en fait signifie ‘’à l’heure’’. L’entreprise appelle l’employé uniquement quand elle en a besoin et le paye pour les heures effectuées. Et cette fameuse spécificité britannique, si elle séduit l’entreprise qui y trouve toute la flexibilité qu’elle recherche, caractérise tout de même les postes en contrat zéro heure par une précarité de plus en plus envahissante. Avec, en fait de prime, une situation de sous-emploi et d’imprévisibilité permanente pour l’employé.
La découverte de cette ‘’spécificité’’ s’inscrivait dans la mise en relief d’un phénomène clé, relevé dans la bataille électorale britannique, l’inégalité grandissante des revenus dans cette belle ile.
Les riches anglais ont un problème. Ils deviennent de plus en plus riches. Depuis 10 ans, le top 1% s’est enrichi de 100%. C’est vrai, l’économie est en croissance, le chômage a baissé, mais les pauvres sont aussi devenus plus pauvres. Les visites dans les banques alimentaires ont augmentées de 18% en un an.

Justice soit rendue aux sujets de Sa Majesté, tempéra Jonathan.
Ils ne sont pas seuls sur ce point.
L’inégalité prospère partout, constata t- il. Dans les 34 pays de l’OCDE, donc France y compris,  le revenu moyen  des 10% les plus riches est passé depuis 1980 de 7% à 10% plus élevé que le relevé de 10% des moins riches. Il reprit la lecture de ces chiffres trois fois pour finalement comprendre : ça empire.
Et lui revint en mémoire, les autres statistiques, toutes aussi concordantes, qui démontraient qu’en Israël aussi, l’écart inégalitaire se creusait, comme ailleurs, très régulièrement. Et même avec beaucoup de bonne volonté, l’argument spécifiant que la pauvreté se répartissait à parts égales entre les populations religieuses, arabes et séculaires juives, ne le convainquait pas de la relativité du phénomène.

Alors ?
L’hypothèse oligarchique ? Les politiques publiques, partout, privilégient les plus fortunés ?
L’hypothèse de démission populaire ? Les politiques publiques ne font qu’entériner une fatalité que les plus pauvres n’ont pas l’énergie de contester ?
Ou….si le système capitaliste lui-même n’était pas arrivé au bout de sa logique ?
Est-ce que le temps n’est pas venu d’inventer, sinon un nouveau système, au moins une variante ?
Et Israël. Ce pays de l’innovation. Est-ce qu’il ne serait pas, parmi tous les pays, le plus à même, d’offrir à nouveau un système revisité par la recherche de l’égalité ?
Jonathan soupçonna que le constat tournait en rêverie, sur un terrain glissant.
Arrêtons là, se dit-il, principe de précaution.  

Déconnexion, vous avez dit déconnexion…

A qui se fier ?
Aux politiciens, aux journalistes, aux experts, aux protestataires, aux copains, au café du coin, aux penseurs, artistes ou écrivains,  ou à son propre jugement ?
A quelle aune faut-il apprécier la situation réelle, actuelle, d’Israël, se demandait Jonathan en se pinçant le menton.

Les politiciens, a priori les plus à même de faire connaître la situation et la nature exacte des questions qui se posent, apparaissent plus perdus dans des recherches autocentrées de prise de pouvoir, d’équilibre branlant de forces et de personnes, de coalitions de circonstance, que dans l’analyse fine du court, du moyen et encore moins du long terme du pays.
Idéologies évanescentes remplacées par des erzats de pensées, action structurée remplacée par la réaction à l’immédiat, sable mouvant des mutations géopolitiques, responsabilité critiquée allant jusqu’à la suspicion de malhonnêteté, manque d’anticipation, ….le politique lui semble ici comme ailleurs, déconnecté du pays social, économique, culturel et peut-être même militaire.
La politique doit se reconnecter au pays réel.

Les médias, peut-être ?
Hélas, eux aussi, encore plus, coincés dans l’accélération du temps, par l’avalanche d’informations, la recherche éperdue de sensationnel, la hantise de l’audience, par la concurrence nouvelle des réseaux internet, survolent presque toujours, répètent à satiété, traitent rarement en profondeur de façon non partisane.
Trouver la bonne focale ne sera pas facile.

Alors, les experts, en un peu tout, aux avis définitifs ?, Les maîtres à penser, impressionnants, tranchants, mais qui se répartissent dans un large panorama, du rouge au noir, de la catastrophe annoncée au succès affirmé ?
Lequel est le mieux branché sur la vraie vie, foisonnante, contrastée, compliquée,  de ce pays ?

Ou bien ces copains, de la droite, du centre ou de la gauche,  qui se livrent à des démonstrations et à des joutes enflammées ? Jusqu’au point de rupture, qui ne se produit heureusement jamais.
Quant aux discussions de cafés, imposées par la voix de stentor des israéliens et hautes en décibels des israéliennes, aussi passionnées soient-elles, elles relèvent plus du spectacle que de la méditation et se terminent généralement dans un consensus d’éclats de rire.
C’est de la connexion décontraction.  

Et pourtant, elle tourne, comme a dit naguère, Galilée, et comme se le répétait Jonathan.
La société israélienne, elle, pleinement connectée sur le monde moderne, maintient son train d’enfer, en dépit des crises qui secouent les pays occidentaux, les émergents. En dépit même des guerres comme celle de Gaza, des dangers régionaux, des opérations de boycott, de l’enlisement du conflit palestinien.
L’excellence en hi-tec, la floraison de start-up, l’amplification des exportations, la richesse culturelle, le développement urbain, les voyants restent au vert, sans compter la disponibilité des ressources gazières.
En même temps que les problèmes se cristallisent. Concentration de la richesse et accroissement de la pauvreté, difficultés de logement, frustration des minorités, latence des dangers aux frontières….

Un pays, donc, établi, vivant, empli de ses réussites et de ses échecs, passionné et passionnant.
Mais aussi un pays en manque de vigies qui lui soient connecté,  qui sachent interpréter sa trajectoire et anticiper sa projection.
Est-ce qu’il manquerait un pilote dans l’avion, se demanda Jonathan ?