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Mois : décembre 2022

Monsieur le marquis

 

Mieux vaut en rire que pleurer. L’adage avait inspiré la jeune anthropologue, récemment intégrée dans le groupe. Elle venait de découvrir le trésor de chansons du siècle précédent. Et par ailleurs sous le coup de l’ébranlement généré chez elle par la dernière élection, l’inspiration lui avait fait réécrire les paroles de la célèbre ‘’Madame la Marquise’’.

Ne résistant pas au plaisir du partage de ce petit plaisir, il distribua des copies du texte et proposa de le chanter en chœur. C’est ainsi que, un soir novembre 2022, sur la plage endormie, résonna un ‘’Madame la Marquise, revisité, libérateur et joyeux.

 

Allô, allô Ibib !

Quelles nouvelles ?

Au bout de deux semaines

Depuis ma résidence

Je te rappelle

Quel gouvernement tu me ramènes ?

 

Tout va très bien, Monsieur le Marquis,

Tout va très bien, tout va très bien.

Pourtant il faut, il faut que je confesse,

On déplore un petit incident :

J’ai dû taper sur les fesses

Du Moche Riche qui montrait les dents.

Mais à part ça, Monsieur le Marquis,

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Allô, allô Ibib !

Quelles nouvelles ?

La fessée au Moche Riche !

Explique-moi,

Toi qui, rarement triche,

Comment cela s’est-il passé ?

 

Cela n’est rien, Monsieur le Marquis,

Cela n’est rien, tout va très bien.

Pourtant il faut, il faut que je reconfesse,

On déplore un rebondissement :

Il a pété les plombs,

Quand le Fils Vizir, en liesse,

Lui a fait le coup du faux jeton.

Mais, à part ça, Monsieur le Marquis,

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Allô, allô Ibib !

Quelles nouvelles ?

Le Fils Vizir triomphe-t-il ?

Explique-moi,

Toi qui, rarement triche,

Comment cela s’est-il passé ?

 

 

Cela n’est rien, Monsieur le Marquis,

Cela n’est rien, tout va très bien.

Pourtant il faut, il faut que je t’avoue,

On déplore un empêchement.

Si le Fils Vizir était en liesse,

C’est que D. Ry, risquait plus la prison que la messe.

Mais, à part ça, Monsieur le Marquis,

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Allô, allô Ibib !

Quelles nouvelles ?

  1. Ry est donc démonétisé !

Explique-moi,

Toi qui, rarement triche,

Comment cela est-il arrivé ?

 

Eh bien ! Voilà, Monsieur le Marquis,

Devant tous ces illuminés,

Excédé par leurs prétentions,

Je les ai laissés, eux, se dépatouiller,

J’ai, comme d’habitude, pris l’inverse direction,

Mais dans ce renversement de parti-pris,

Je me suis mis à la merci

De mes opposants du centre droit,

Qui prétendent me soumettre à leur loi,

Bien qu’à l’aise dans le balagan,

Je suis en train de porter le bonnet d’âne,

Et c’est ainsi qu’en ce moment,

Je galère pour votre nouveau gouvernement.

Mais, à part ça, Monsieur le marquis,

Tout va très bien, tout va très bien.

 

Chacun sortit de cette ludique prestation nocturne avec le sentiment d’avoir, pour cette fois, grâce au miracle de la chanson, mis à distance l’hystérie de la vie politique, au regard de chacune des vies quotidiennes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bubu Roi

 

De tout temps, Jonathan l’avait entendu se référer à ses deux maîtres révérés. La Fontaine pour la mise à nu des choses et des gens. Alfred Jarry pour la mise en dérision des fausses vertus et des fausses pensées. Cette fois-ci, pour se remettre des résultats électoraux aussi indiscutables que contraires à ses vœux, il fit appel à leur double inspiration.

Shlomo, donc, ce grand touche-à-tout, espèce de neveu de Rameau contemporain, se planta devant lui, le lendemain de ce vote, pour lui si funeste. Sans autre déclaration, il déclama, ‘’Les Grands pour la plupart, sont masques de théâtre / Leur apparence impose au vulgaire idolâtre’’. Puis, sans transition, confessant la violence du choc subit le soir précédent, à l’annonce des résultats, il proposa à Jonathan d’être à la fois le premier spectateur et le juge d’une pièce de théâtre, justement, qu’il avait fiévreusement imaginé pendant la nuit. Piégé, mais aussi intéressé et vaguement amusé, Jonathan se cala dans son divan et, royal, tapa trois fois du pied pour l’ouverture de la pièce.

 

Acte premier

-Mère Bubu : tout à ma légitime satisfaction, roi Bubu, je vous vois bien content de pouvoir, enfin, de nouveau, poser votre postérieur sur notre royal siège antérieur.

-Roi Bubu : de par ma chandelle bleue, Mère Bubu, je ne suis pas content, je rayonne.

Déchu par traitrise, trainé comme un brigand à deux agorots devant un tribunal ignorant de mon rang, mi-remis en cause par des affidés enhardis par ma semi-disgrâce, remplacé par une assemblée d’illégitimes arrogants, chassé infâmement de ma royale demeure, contraint de te réduire au silence toi-même, ma noble et très publique compagne, et notre bon fils sans peur ni lois, qu’ai-je fait, ma douce, mon exigeante égérie ?

-Mère Bubu : Je sais mon roi. Tu as, patiemment, tissé ta toile. Je connais ton cocktail. Coups de menton mussoliniens pour s’affirmer, coups tordus pour dérouter, coups de charme pour rallier comme pour débaucher, coups de dédain pour dénaturer.

-Roi Bubu :  tout juste, mère Bubu. Ajoute la touche finale ! L’art de dire.  A ce brave peuple ce qu’il veut entendre. L’ordre, la force, la propriété, le territoire, tout le territoire. Et l’art de promettre. A mes partenaires, ce qu’ils demandent. Postes, priorités, politique. La religion, toute la religion.

-Mère Bubu : garde, roi Bubu ! Le peuple, oui. Ton art réussit d’autant plus qu’il agit dans le sens du poil actuel du monde. J’entends résonner partout le ‘’à droite, toute’’. Mais, prend garde ! Toi qui te crois trop roi de droit. Le coup de la promesse vaut pour les gogos. Il marche pour ceux à qui il va comme un Gantz. Mais peut-être moins pour ceux qui pensent que le droit, c’est la Droite et pas le roi qui la dicte.

-Roi Bubu : ne crains, ma douce. Je saurai bien les décerveler. Tout comme j’ai lapidé cet impudent imposteur prétendant me remplacer ! Moi !!

-Mère Bubu : au secours ! Voilà qu’il se prend à parler en alexandrin !

 

Acte Deux

-Le Lapidé : et pourtant ! Quel bilan !! En un temps si court !!

Justice sociale ! Avec des budgets pour aides alimentaires, la prévention de la violence domestique, la revalorisation des travailleurs sociaux, des prestations vieillesse et allocations familiales, des allocations des rescapés de la shoah, pour augmenter les lits dans les hôpitaux et la construction de deux nouveaux hôpitaux, pour l’intégration des personnes handicapées…..

-Z fils : l’ignorant !

-Le Lapidé : économie ! Des réformes pour faire baisser les prix en diminuant le taux de chômage, en augmentant la concurrence, en affaiblissant les monopôles. Finance ! avec un budget, en bonne et due forme, après trois ans, trois années d’impérities, d’immobilisme, sans budget de la nation…..…..

-Z fils : le crédule !

-Le Lapidé : diplomatie : des avancées historiques, avec le sommet du Néguev pour consolider le bloc régional Israël /pays arabes et renforcer la réponse au danger iranien, l’accord maritime et économique avec le Liban, le redressement de l’image internationale d’Israël…..

-Z fils : l’ingénu !

-Le Lapidé : démocratie ! Revitalisation du statut des minorités arabes en légitimant leur participation à la gouvernance d’un pays qui est aussi le leur, en rétablissant leur citoyenneté, mise en place et en action d’un gouvernement d’union, défense de l’équilibre institutionnel entre exécutif, législatif et justice, contrôle de la place et limitation du rôle du religieux dans a vie publique nationale…..

-Z fils : ah ! Nous y voilà !! Impudent ! Et imprudent en plus !! Pauvres gobe-mouches ! Vous n’avez pas compris que là, ce n’est pas la ligne verte que vous touchiez. Mais que vous dépassiez la ligne rouge.

-Le Lapidé : et notre bilan ? Il suffit à faire passer toutes les lignes.

-Z fils : Votre bilan ? Transparent mon pauvre. Peu importe. Notre terre. Toute notre terre. A nous, peuple élu. Depuis la nuit des temps. Voilà ce qui importe. Une appartenance qui ne se partage pas. Les minorités encombrantes n’ont qu’à bien se tenir. Celles qui ne s’y tiendront pas, ont le choix. Ad patres ou aller voir ailleurs.

-Le Lapidé : rustres !

-Z fils : quant à votre bilan. Ce fameux bilan ! Tout ce qui ne convient pas au vrai droit, le droit religieux, il sera tout simplement détricoté. Justice, éducation, culture, finance, indépendance, nous, revisiterons tous vos coins et recoins.

-Le Lapidé : Aveugles ! Nous ne le connaissons que trop bien. Le roi Bubu saura bien vous réserver, comme il l’a fait pour nous, son art du retournement.

 

Acte trois

-Roi Bubu : sois rassuré, mon unique douce. Mes grands alliés se retrouvent tous heureux, tous devenus ministres. La paix intérieure est assurée. Intérieure à notre gouvernement, j’entends. Les autres, intérieure ou extérieure au pays, on verra bien. Il faut bien des priorités, indeed.

-Mère Bubu : comme tu causes bien américain, mon roi !

-Roi Bubu : bien entendu, ministres ils sont. Mais, bien entendu aussi, ministres de domaines où ils sont incompétents. Ce qui me confère la prise nécessaire sur chacun d’entre eux.

– Mère Bubu : Quel talent !

-Roi Bubu : Au Phynances, un habitué des tribunaux spécialisés. A l’intérieur, un inapte mal aimé des forces de terrain. A l’armée un va-t’en-guerre ignorant militaire. A la justice…..

-Mère Bubu : Alors, dis-moi vite. Pourquoi ce silence ? Tu sais pourtant que ce domaine est pour moi, pour nous, le plus déterminant.

– Père Bubu : aussi le plus ‘’touchy’’, comme dit mon grand ami américain. Il faut à la fois, que les apparences soient sauvegardées, et que nous sablions notre champagne en fêtant notre blanchiment.

-Z fils : ah, Bubu, roi pour les autres ! Partenaire pour moi. Je me réjouis d’avoir entendu, clandestinement j’avoue, votre déclaration. Elle me permet de jouer avec vous à la barbichette.

-Mère Bubu : Quelle barbichette ? ça n’est pas juste d’écouter aux portes du pouvoir.

Z fils : Juste. Vous avez le bon mot, mère Bubu. Votre noble époux, lui a compris. Pour que la justice réponde à vos vœux, il faudra bien que notre liberté d’action réponde aux nôtres. Ça s’appelle ‘’la barbichette’’, mère Bubu.

-Mère Bubu : Que te semble, mon roi ?

– Roi Bubu : J’ai de grands prédécesseurs, ma douce. Qui ont déjà crié, ‘’ Un cheval pour un royaume.’’ Je prends le cheval de justice !!

 

 

Un rideau virtuel tomba, pour clôturer le one man show.

Laissant du temps au temps, Jonathan commença par offrir à l’auteur-acteur un double café régénérateur. Jouer tous ces personnages, en gardant énergie et tempo, représentait, en soi, une performance physique et mentale méritoire. Qui suivait elle-même, la performance d’écriture, pas moins mobilisatrice, sans doute, d’influx neuronal. Il ne s’agissait pas, à l’évidence, de s’ériger en juge de la pièce proposée. Il fallait la prendre pour ce qu’elle était, un acte de catharsis. Libérateur d’un trop plein d’émotion. Ici, de déception. Il se contenta donc de jouer sa partition de pur copain. Tu es bien, lui dit-il, le digne fils adultérin de La Fontaine et d’Alfred Jarry. Ils seraient fiers de toi.

Gangrène

 

Jonathan s’était toujours délecté de leurs joutes acharnées. Yigal, petit rond, jovial, chauve comme un œuf et lunettes à grosses montures en bout de nez. Meidan, long maigre, mèches maintenant grises mais toujours en bataille, véhément, yeux bleu clair de chouette en colère. Copains de classe, copains comme cochons, s’opposants sur tout. Cette fois-ci, le sujet de leur affrontement était bouillant chaud. Comme il se sentait lui-même à la bonne température il jeta, traitreusement, les ingrédients sur la table pour provoquer le débat.

D’une part, la réalité d’un Etat maintenant solidement établi, d’une nation maintenant devenue partie des nations du monde, intégrée, en plein cœur du Moyen-Orient, dans la normalité occidentale. Une réalité forgée sur les bases d’un système politique démocratique, à prédominance laïque, supposant l’équilibre majorité/minorités, ouverte au plus large à la loi juive du retour. D’autre part, la réalité d’un engoncement quasi centenaire dans un conflit israélo-palestinien déséquilibré, la confrontation sans fin au terrorisme, à une menace plus ou moins existentielle. Celle d’une indifférence populaire à la dérive militarisée de ‘’l’occupation’’. Celle de l’irruption d’une radicalité religieuse conquérante, venant bousculer l’ordre démocratique, dans le sillage d’une reprise de règne d’un roi politique sous contraintes multiples.

 

Réussite totale. La première explosion fut le fait d’un Meidan, instantanément sabre au clair.

Démocratie ! Laïcarde en plus ! Elle est belle cette démocratie ! Le respect du vote est bien la marque de toute démocratie, n’est-ce-pas ? Et là, il suffit que la majorité sortie des urnes, nette, sans contestation possible, ne soit pas du gré de la partie dite libérale, en fait gauchiste, défaitiste, parfois anarchiste de la population, pour entendre ses cris d’orfraie, le désastre annoncé, les appels à la résistance.  

Son partenaire de confrontation choisit, lui, justement en opposition, le registre de la modération de ton. Recouvrant, de fait, une férocité argumentaire implacable.

 -Tu as raison sur un point. Une majorité claire s’est prononcée. Enfin ! Nous extrayant de la série suicidaire et ruineuse d’élections inutiles. Mais cher ami, comment et pour quoi ? En fédérant au forceps et en entraînant dans une pluie de promesses, la part religieuse d’un pays. Pour servir les desseins d’un dirigeant historique, prêt à rien moins que contredire sa propre histoire et brader son pays pour préserver son intérêt personnel.

 – Voilà ! C’est tout-à-fait l’illustration de ce que je disais ! Je m’étonne un peu, disons à moitié, que tu rejoignes ainsi la cohorte des soi-disant défenseurs des vertus d’un pays sans foi, en vérité sans loi. Des aboyeurs systématiques, qui s’en prennent à celui qui a conduit le pays vers un succès et une position que lui envient toutes les nations du monde. Qui l’attaquent d’autant plus qu’ils n’ont aucune altérative sérieuse à opposer à la légitimité de la religion et du vrai leader politique.

Une nouvelle fois, Yigal choisit de répondre à cette autre charge avec l’apparence de la modération.

 -Je te le concèdes volontiers. La critique a priori du chef de l’opposition trahit au mieux une fascination émasculatrice, au pire un déficit de réflexion, de pensée, de capacité programmatrice. Mais, tu mets toi-même le doigt sur le phénomène catastrophique qu’on pourrait croire particulier à Israël. L’extension du rôle et de la place de la religion, du domaine privé qui doit être, par définition, son champ d’influence et d’action, au domaine de la vie collective, publique, encore plus, politique, dont par définition, elle doit être exclue.

 -Par curiosité, avant de détruire ton extrémisme doctrinaire, où donc se manifeste ce phénomène d’intrusion catastrophique de la religion en politique ?

-Regarde dans le voisinage dangereusement proche. Les Ayatollahs t’en procurent un exemple parfait. D’autant plus démonstratif qu’eux se sont attribués l’exclusivité du pouvoir. Regarde. Regarde où ceci a conduit un pays riche, cultivé, millénaire. Et je vais t’épargner de pousser ton regard un pas plus loin. Où d’autres barbus donnent à la foi l’exclusivité de la loi. Va demander aux femmes de ces pays ce qu’elles en pensent !

Le moteur à explosion rugit de nouveau.

Tu le sais très bien ! Comparaison n’est pas raison ! Les partis politiques religieux, ici, ne rêvent nullement de domination absolue ! Ils ne veulent que réveiller dans la logique et la pratique de l’action publique d’un pays juif, les réalités peu à peu oubliées de la religion juive. Rien de plus et rien de moins !

 -Rien de plus ? Mais Meidan, c’est suffisant ! Enseignement orienté, transport limité, police conditionnée, économie accordée au mystérieux principe religieux, justice subordonnée, structure et vie religieuse privilégiée, j’en passe et des meilleurs. Sans compter l’image et la vie internationale condamnées.

 -C’est de la pure carricature !

 -Et je n’en suis pas au pire. Au second phénomène. Au moins aussi catastrophique que l’autre. La relation au monde arabe. La délégitimation des minorités internes au pays d’abord. Mais encore et peut-être surtout, l’exacerbation du conflit palestinien.

-Ah, non ! Ne va pas me dire que tes amis gauchistes ont trouvé la bonne pratique de ce conflit ! Que ce nouveau gouvernement va empêcher sa solution !

Yigal savait jouer le chaud et le froid.

 -Là encore, je te l’accorde. Aucun gouvernement précédent, ni de gauche ou de droite, ni du centre, n’a trouvé la solution. C’est un cercle vicieux. Un engrenage fatal où l’occupation crée une résistance, qui génère un occupation plus sanglante, qui nourrit une résistance plus radicale, qui….. Un puit sans fond où les deux parties perdent leur âme. Mais aussi un baril de poudre. Que va faire exploser le projet d’annexion de cette Judée-Samarie que promeut le messianisme religieux.

 

Jonathan se sentit obligé de prévenir une déflagration complémentaire inévitable.

Je coupe, cria-t-il presque. Votre débat en est la preuve. Aveuglante. C’est la gangrène. Celle de la religion. Envahissant le champ de la vie publique. Celle du conflit israélo-palestinien. Pourrissant la vie des deux communautés. Auxquelles s’ajoute, cerise sur le gâteau, celle de la corruption du système politique.

Je coupe votre débat, comme devront être coupée toutes ces formes de gangrène qui mettent ce pays en danger.

 

Aveuglement

 

Il le connaissait comme s’il l’avait fait. Copain d’enfance, ami pour la vie. Sur-actif, sur-rapide, sur-direct, sur-intelligent et….sûr de lui. De passage à Tel Aviv, en coup de vent, il l’avait appelé, Je passe ce soir, j’ai quelque chose à te dire. Dîner expédié, ils se retrouvaient donc, cafés fumants devant eux, dans le salon, Jonathan prêt à tout entendre.

Il valait mieux ! Pour commencer, il était temps, pour eux, les Israéliens, d’ouvrir les yeux. D’abord, la médiatisation. Elle mondialise les réalités et les images. Israël ne peut plus faire sa petite cuisine locale sans que le paysan du Danube, comme l’éleveur texan, comme l’étudiant d’une université anglaise, ou le fonctionnaire de l’ONU, soient au courant. Le choc des images n’est que renforcé par le poids de mots. Comme celui d’apartheid. Ensuite, la perception externe. Que les deux le veuillent ou non, Israéliens et juifs sont assimilés comme une même entité par les non-juifs. Conséquence ? Le cancer du conflit israélo-palestinien s’étend à l’ensemble de la communauté juive. Il nourrit, alimente, revigore mondialement un antisémitisme millénaire qui n’en demandait pas tant.

 

Sur sa lancée, l’implacable copain développa son implacable démonstration.

Que vous le vouliez ou non, l’important est l’image. De ce point de vue, le dégât est imparable. L’enlisement, la persistance d’une actualité de soixante-dix ans, le film permanent d’images accusatrices, la suite de chiffres effrayants de morts et blessés, l‘accumulation d’histoires tragiques. Le rapport destructeur du fort au faible. Bien entendu, les fakes news, les fausses images, les réseaux sociaux, participent allègrement à l’avalanche. C’est de bonne guerre ! Et comme si ça ne suffisait pas, d’une part, le sentiment d’un pays sous anesthésie politique, qui endort la conscience de ses citoyens et transforme une armée jadis prestigieuse en armée d’occupation. D’autre part, une classe religieuse extrémiste, déployant aussi brutalement qu’illégalement son rêve messianique. Non seulement avec la bénédiction d’autorités complices. Mais libérés prochainement de toutes contraintes par un leader politique maladroitement machiavélique. Qui verra d’ailleurs son nom salit par sa volonté de protéger sa personne.

 

Connaissant son homme, Jonathan s’abstint de commentaire, à ce stade, et attendit sagement la suite.

En amont, il y a la réalité. A laquelle se réfère, et l’on pourrait dire, s’accroche l’Etat, les Israéliens. Beaucoup de négatif. Une société palestinienne qui n’en est pas une. Effectivement duale. Situation et positions de Gaza et de la Cisjordanie différentes. Hamas, visant toujours la destruction d’Israël et Fatah, plus modéré, s’opposent politiquement. Et même militairement. Corruption généralisée et immobilisme social et politique, qui font un cocktail désastreux. Poids d’une histoire plus ou moins inventée, frustration de la Nakba, illusion d’un retour qu’on sait impossible. Haine exponentielle de l’occupant, désespoir d’une population contrôlée, sous interdictions multiples. Chômage, situations financière, économique stagnantes. Jeunesse omniprésente, désœuvrée, de plus en plus radicalisée. De l’autre côté, la tentation facilitante du statu quo, cette amplification du jusqu’au-boutisme religieux juif, le désarroi moral des militaires et policiers. Et, désolé, quoique vous en disiez, ‘’apartheid’’ vient du français ‘’à part’’. Israël crée bien, dans les territoires, une partition géographique, un système de routes sélectif, des modes de déplacement encadrés.

Un peu de positif. Le développement d’une classe moyenne palestinienne. Plus active, plus moderne, plus ambitieuse. Peut-être une amélioration du statut des femmes par l’accès à l’éducation. L’existence de collaborations sur le terrain, entre Israéliens et Palestiniens, soit entre associations, soit entre administrations, dans de nombreux domaines.

En tout état de cause, une réalité qui, sans modification spectaculaire, sans coup de tonnerre la renversant dans ses bases, ne pèse pas réellement en face du tsunami de l’image qui la recouvre.

 

Un temps de silence. Une resucée de café. Tu avais besoin à ce point, de me casser le moral ? interrogea Jonathan, plus curieux que provocateur.

La conclusion apparut. Il est vital, pas seulement bon, qu’Israël soit fort. Mais, justement, au moment où la radicalité religieuse juive risque de devenir hégémonique, de décupler la dramatique palestinienne, il est crucial de se souvenir que dans un conflit du fort au faible, la solution doit venir du fort. La communauté internationale juive a besoin de trouver là aussi, là encore, un Israël audacieux, créatif. Si le personnel politique reste englué dans ses batailles de basse terre, que se lève une personnalité issue de l’univers civil, un mâtiné de Mandela et de Sadate. Qui brise le mur.  Qui la libère de cette charge d’image négative, qu’elle supporte sans pouvoir de la réduire.

Non pas pour créer, au final, un pouvoir autonome vicié, sur le modèle iranien ou algérien. Mais, en partenariat avec les Palestiniens eux-mêmes, les communautés arabes et internationales, un pouvoir autonome associé, assoiffé de modernité, libéré de sa haine et libre de son avenir.

Pa de meilleur aveugle que celui qui ne veut rien voir, glissa son ami, pour enfoncer le clou.