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Paix, principes, programmes

Ils sont venus, ils étaient tous là. Mais, pardon Aznavour, il ne s’agissait pas cette fois, de saluer une dernière fois la Mamma. Le thème de leur réunion, proposé par un des habitués de leur troupe, insidieusement provocateur «Élection, piège à c… », avait eu au moins le mérite de témoigner d’un intérêt général pour la chose.

Il est vrai que les élections israéliennes s’approchaient rapidement. Que la férocité de la bataille, le niveau bas de la ceinture des attaques personnalisées réciproques, le lourd parfum de la corruption qui s’y était infiltré, la radicalisation de l’affrontement à Gaza, faisaient grimper allègrement la fièvre émotionnelle. Et les faisant ainsi déroger à la règle encadrant leurs réunions hebdomadaires, on ne parle ni de religion, ni de politique. Jonathan espérait seulement que le débat inévitable, ne finirait pas comme dans le fameux dessin sur l’affaire Dreyfus, avec une table dévastée et la légende «ils en ont parlé».
Le respect des traditions et des bonnes habitudes aidant, tout commença, «as usual», par le choix des boissons. Puis par l’accueil blagueur des retardataires, eux aussi habituels. Puis par l’installation en rond de cercle des futurs belligérants. La séance pouvait commencer. L’initiateur thématique, barbe noir corbeau en avant et sourcils broussailleux, introduisit le sujet avec la flamme que tous lui connaissaient. C’est trop important, pour la nation, nos enfants, période cruciale pour le pays, autour du pays, le devoir de participer, l’unité, les dangers, les opportunités, …il dressa le cadre. Terminant sur une recommandation honnête : on s’écoute pendant, on boit un coup après !

Un premier intervenant reprit la balle au bond, pour déclarer sa confiance, et même toute sa flamme dit-il pour Bibi, énumérant une litanie argumentaire qu’il estima modestement imparable. Provoquant l’intervention du second, qui niant le caractère imparable revendiqué, lui opposa un contre-argumentaire tout aussi fourni, en faveur du camp Bleu Blanc. Déclenchant à son tour, avant qu’il termine complètement, la verve contradictoire d’une fougueuse cinquantenaire…. Et, bien entendu, la mécanique s’enclencha. Le bel ordonnancement, l’écoute, la retenue, s’évanouirent très vite. Les affrontements d’opinions tranchées de personne à personne, alternaient et se superposaient avec les discussions générales sur un sujet mobilisateur. L’ironie, les mises en boîte, permettaient de garder une dimension amicale à ce qui ressemblait de plus en plus à une sympathique foire d’expression de passions et de positions idéologiques solidement tenues.
Poussé à s’exprimer, Jonathan choisi alors de proposer une grille d’évaluation des oppositions politiques. Introduisant leur dit-il, un peu de rationnel dans un océan d’émotionnel. Esquivant les quolibets, il évoqua la démarche des 3 P. L’effet de surprise lui donna le temps d’exposer sa proposition.

Le premier P pour Paix. Les deux camps, Droite et Centre, ont des titres à offrir la garantie de savoir gagner les guerres. Dans le contexte de danger permanent qu’Israël affronte, l’important n’est donc pas de choisir qui gagnera le mieux la guerre, mais qui gagnera mieux la paix. Qui est le plus susceptible d’interrompre le cycle sans fin des guerres, et de gagner la paix ?

Le second P pour Principes. Etre juif et être israélien appelle le double respect de principes. Les principes moraux, auxquels notre histoire, notre culture, nos traditions obligent. Les principes initiaux du sionisme, que probablement les évolutions du pays ont fait en partie oublier, mais qui nourrissent la dimension identitaire d’Israël. Qui, quel camp, quel leader, sont le plus susceptible de défendre ces principes ?

Le dernier P pour Programme. Quels sont les programmes des forces politiques candidates ? Les hommes importent, mais plus encore importe le projet dont ils sont porteurs, qui nous concernent, nous directement, le futur de nos enfants. Etudier, peser les programmes permet en particulier d’évacuer le poids trop grand du jugement, forcement partisan, sur les personnes. Quels sont les programmes et lesquels répondent le mieux aux défis qui attendent le pays ?

Sa proposition fut accueillie d’abord dans le silence, puis dans un début d’approbation, puis dans un premier essai de réponse collective au premier P défini. La paix. Une opinion s’exprima, une autre reprit la réflexion à sa conclusion pour l’infléchir, une troisième pour la contester…et le débat reprit son rythme, sa fougue, ses interruptions, ses blagues, ses quelques cris.
La démarche des 3 P ne coula pas. Elle flotta sur les vagues déferlantes des échanges, disparaissant, réapparaissant, dans les reprises de souffle, les accélérations, les temps morts. Pour redevenir reine quand les verres se levèrent, à la gloire éternelle des 3 P.