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Changer de guerre

Son interlocuteur n’avait pourtant pas l’allure d’un guerrier féroce. Même pas d’un foudre de guerre. Et pourtant, il venait bien de lui ressortir cet argument que Jonathan avait de nombreuse fois entendu : ‘’Ce qu’il faudrait, c’est une bonne petite guerre’’.
Le pire est que l’argument ne venait pas comme ça, naturellement, innocemment, sur le tapis. Il se souvenait avoir lu, tout récemment, une déclaration du pape François, qui percevait un climat de guerre, une guerre non plus mondiale comme les vraies bonnes guerres d’il y a peu, mais, disait-il, ‘’une troisième guerre mondiale livrée par morceaux’’.
Le plus frappant était que ce Sabra, grand barbu, souriant, amical, dégustant tranquillement sa bière, qui assénait semblait-il sérieusement et calmement son diagnostic, avait traversé le temps des guerres successives qu’Israël avait livrées. Il connaissait leurs conséquences en termes de morts, de malheur, de destruction. Il devait même connaître le goût amère de la victoire.
Sa démonstration s’était structurée sur deux faces de la situation actuelle du monde, telle qu’elle lui apparaissait.
Sur le plan économique, social, politique et démographique, trop de défis sont à relever pour leur répondre sans une déflagration nouvelle. Le changement climatique tout d’abord. Bien entendu, si un Etat s’amuse à employer la bombe atomique, l’Iran par exemple pour ne pas la nommer , mais il y a d’autres candidats, le Pakistan, la Corée du Nord, le problème sera réglé. Le monde sera très simplement atomisé. A part ce cas extrême, il faudra des investissements colossaux pour traiter un problème qui commence vraiment à devenir urgent. Le vieillissement généralisé de la population, conjugué avec son accroissement, c’est une autre bombe, d’une autre nature, qui demande à être gérée financièrement, socialement. La disparité, qui va devenir insoutenable, entre les pays pauvres et riches et à l’intérieur des pays riches entre les laissés pour compte et les autres. Les irrésistibles mouvements de populations, immigrations, émigrations, avec leur coût, considérable et inévitable. Et puis la Grèce n’est que la pointe apparente de l’iceberg, les dettes de la grande majorité des Etats demandera bien un jour à être remboursée, non ?
A ce tableau de fond apocalyptique, le Sabra barbu ajouta une couche de catastrophes annoncées planant sur Israël. Le renversement démographique qui conduit à la majorité de la population une combinaison de minorités et de Juifs orthodoxes. Donc à un questionnement économique, social, fondamental. Le poids des refondations, inévitables à ses yeux, des systèmes éducatif, social, doublé du poids sans cesse croissant de la dépense militaire.
CQFD, dit-il. C’est bien par l’effort de guerre que les Etats-Unis sont sortis de la grande dépression des années 1930. Et je pourrai te présenter d’autres cas de rénovation par la guerre.
Puisque son ami, malgré tout, terminait sa péroraison par l’exemple israélien, Jonathan lui opposa derechef, une arme encore toute chaude. La Rand, organisation américaine de recherche indépendante, venait d’explorer les diverses conséquences des diverses versions possibles d’un accord de paix entre les Israéliens et les Palestiniens. Dans tous les cas de figure, et les Palestiniens et les Israéliens, en tiraient un bénéfice économique considérable, de l’ordre de dizaines de milliards. Sans compter le bénéfice humain, social.
Convaincu qu’on ne convainc jamais personne, Jonathan poursuivi sa propre démonstration, pour la gloire. Les boucheries successives, les fausses victoires, l’absurdité humaine, les mondes détruits, le froid rapport bénéfice/avantage des guerres, classiques ou pas, petites ou grandes, restait à démontrer.
Surtout, s’il faut relever des grands défis, la guerre comme déclencheur, pourquoi pas,  mais il faut changer de guerre. Non pas les uns contre les autres mais tous contre les dangers. Non pas éradiquer d’abord et reconstruire ensuite, mais mobiliser pour attaquer directement, massivement, les risques généraux.

Le barbu finit sa bière pensivement et, regardant Jonathan, lui lança, ‘’qui de nous deux, est le plus simpliste ?’’.
Ce qui, pensa Jonathan était déjà une demie victoire.

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