Les EX
Sans le vouloir, Jonathan, assis devant son café ‘’arore’’, et parcourant son journal à la terrasse d’un des cafés bondés de Dizengoff, partageait la conversation très animée et très sonore de trois amies d’âge respectable, installées sur une table, juste à côté de la sienne. Sans le vouloir, il eut droit aux confidences rigolardes et parfois légèrement vachardes sur leurs trois ‘’ex’’.
Cette prise de connaissance, imposée et clandestine, le renvoya sur ce fait nouveau de la société occidentale. Un peu partout la majorité des mariages se terminent par un divorce. Quel changement, sociologique d’abord, aux conséquences sans doute mal connues surtout sur les enfants, social ensuite, et économique ! Il s’amusa tout de même à imaginer des manifestations, des défilés à pancartes, et pourquoi pas, la journée des ‘’Ex’’, ou encore une Fédération internationale des Ex.
Pour s’évader de cette conversation voisine et invasive, il poursuivit dans la même veine. Par exemple, il était de plus en plus frappé par une autre catégorie d’Ex, celle des grands hommes. ‘’Mais où sont les neiges d’antan ?’’ écrivait François Villon. Le monde contemporain a, lui, vu disparaître la race des grands hommes politiques. Clémenceau, Churchill, De Gaulle, Roosevelt, Staline dans son genre, peut-être servis par la dramatisation de l’histoire, avaient néanmoins su marquer la société du sceau de leur personnalité hors norme. Le pape Jean-Paul II peut-être, Nelson Mandela incontestablement, avaient imposé un respect universel. Mais maintenant. L’espérance Obama s’est flétrit, Poutine a l’allure d’un boxeur pois moyen et le seul homme européen visible est Angela Merkel qui ne se révèle pas à proprement parler un leader enthousiasment.
Transposée sur Israël, cette réflexion ne portait pas Jonathan à penser qu’aucun des successeurs de Ben Gourion avait su ou pu se hisser au niveau de ce grand petit homme.
Mais sans chercher l’extraordinaire chez les Ex, dans la vie courante, d’autres Ex pouvaient être regrettés. Ou sont les notables d’antan ? L’instituteur français, le médecin de famille, figures reconnues dans un temps où le savoir comptait plus que le pouvoir ? Passés à la trappe de la modernisation et de la marchandisation.
Et qu’en est-il de ces champions d’antan, ces autres Ex, qui pour des nèfles et dans des conditions d’une rusticité inimaginable aujourd’hui, manifestaient par leurs performances ce qu’on peut appeler de l’amour du sport se disait Jonathan. Remplacés par les grandes messes, le spectacle télévisuel, la starification, l’inondation de la Phinance chère au Père Ubu, par un univers d’amphétamine, de corticoïdes et autres joyeusetés.
La liste ‘’Ex’’ pouvait toujours se décliner. Dans quelles neiges d’antan se sont perdus l’orthographe et l’écriture par exemple ? En français avec certitude, en hébreu probablement, le pourcentage de ceux capables d’écrire une page, lisiblement, avec moins de cinq fautes d’orthographe ou de grammaire, se situe lui, à moins de cinquante pour cent. Jonathan se souvint de cette petite histoire, celle de ces parents voulant choisir un cadeau d’anniversaire à leur fils, le père suggérant ’’peut-être un livre’’ ? La mère répondant ‘’il en a déjà un’’. Qui lit un livre par mois ? …..
Soudainement, Jonathan sortit de ce parcours des Ex, provoqué par la conversation volée.
Les Ex relèvent en fait du rêve nostalgique d’une société évanouie, se dit-il. La société actuelle a sa propre grammaire, ses codes ni plus mauvais, ni meilleurs que celles qui l’ont précédé. L’instituteur, le médecin, le sportif légendaire, ont fait place aux cours à distance, au spécialiste médical, à l’athlète ultime. L’orthographe, l’écriture ont intégré l’univers dominat, celui d’internet.
Il n’y a que le vide de grands hommes. Là, Jonathan ne pouvait s’empêcher de regretter ‘’les neiges d’antan’’. Particulièrement ici, en terre d’ Israël, dans ce Moyen Orient compliqué, en si grand besoin d’élan, de vision, de courage et de volonté.
Quand aux Ex de ces dames, il se demanda s’il ne pouvait pas leur proposer une solution de remplacement.